Un roman très actuel
Si pour la plupart cette lecture remonte aux années d’adolescence, pendant le semi-confinement du printemps 2020 ce roman a retrouvé bien des lectrices et lecteurs. Publié en 1947, ce récit d’Albert Camus raconte l’arrivée de la peste dans la ville algérienne d’Oran. Il vaut la peine de replonger dans cette fiction aujourd’hui, tant on y trouve d’échos à la vague d’épidémie qui déferle actuellement sur notre monde. « L’Etranger décrit la nudité de l’homme en face de l’absurde ; La Peste l’équivalence profonde des points de vue individuels en face du même absurde » – notait l’écrivain. L’analyse de l’auteur s’élève au mythe. Il ne s’agit plus seulement de la drôle de peste – comme l’on disait alors la drôle de guerre – mais de l’homme aux prises avec le mal absurde, et des différentes façons de réagir au malheur incompréhensible et injuste : par le déni, le dédain, la magouille, la panique, la fuite, l’engagement…
Deux personnages en lien avec Job
En lien avec le récit de Job, deux personnages retiennent notre attention. Tout d’abord le prêtre Paneloux. Cet érudit appartient à l’ordre des Jésuites et interprète d’abord la peste comme un fléau divin. Lors de son premier prêche, il condamne les Oranais : « Mes frères, vous êtes dans le malheur, vous l’avez mérité (…) Si aujourd’hui la peste vous regarde, c’est que le moment de réfléchir est venu ». Pour Paneloux, les habitants d’Oran subissent la punition divine ; utilisant le « vous » le prêtre s’en exclut. Pour lui, le malheur a une valeur pédagogique. Ces propos font échos au discours des amis de Job.
Avec d’autres pourtant, le jésuite s’engage à lutter contre la peste aux côtés du docteur Rieux. Impuissant, il assiste à la mort d’un enfant, le fils d’Othon ; sa théologie de la juste rétribution ne tient plus. Profondément affecté, dans un deuxième prêche, il change de ton ; utilisant un « nous » inclusif, il prône l’acceptation. Sa foi se transforme. Les certitudes tombent, le ton est à l’humilité, l’échange, à la quête de sens.
La mort d’un enfant les réunit
Au moment de la mort de l’enfant, Rieux le médecin qui lutte sans relâche – et souvent sans succès – contre la peste, cède à la fatigue et à la révolte. Se noue entre lui et le prêtre un dialogue tendu. A ce dernier qui suggère d’aimer ce que l’on ne peut comprendre, Rieux rétorque dans une révolte digne de Job : « (…) je refuserai jusqu’à la mort d’aimer cette création où des enfants sont torturés. » Reconnaissant qu’il n’a pas accès à la foi ni à la grâce divine, il ajoute : « nous travaillons ensemble pour quelque-chose qui nous réunit au-delà des blasphèmes et des prières. Cela seul est important (…) Ce que je hais c’est la mort et le mal, vous le savez bien. Et que vous le vouliez ou non, nous sommes ensemble pour les souffrir et les combattre. »
Une menace emblématique
Aucun Happy End en conclusion de La Peste.Même si la foule exprime son allégresse quand le mal est vaincu, le docteur Rieux ne doute pas que cette victoire est provisoire ; il sait la joie humaine toujours menacée, il croit que la peste ne meurt ni ne disparaît jamais.