Le déluge

Et si la Bible avait copié ?

En plein 19ème siècle, des savant découvrent la bibliothèque du roi assyrien Assourbanipal à Ninive. Celui-ci a vécu au 7ème siècle avant notre ère. Cette bibliothèque a livrée plus de 25’000 tablettes d’argile gravées en écriture cunéiforme. Or, parmi les multiples tablettes, il se trouve des légendes babyloniennes qui ressemblent beaucoup à certains récits bibliques. Mais celui qui s’en rapproche le plus est un récit qui raconte le déluge dans des termes qui rappelle étrangement les chapitres 6 à 9 du livre de la Genèse. La Bible n’a-t-elle fait que copier les mythes mésopotamiens ?

Un thème universel

La question rebondit encore quand les savants européens réalisent que la thématique d’un déluge menaçant toute vie sur terre est présente dans biens des cultures. On retrouve ce mythe dans les cultures précolombiennes en Amérique centrale, dans les cultures grecques, indiennes, perses et peut-être même chinoises. Il semble même qu’il y en ait des traces dans certains mythes scandinaves.

L’universalité de cette présence a même conduit certains à rechercher les traces géologiques d’un événement historique universel, sans beaucoup de succès cependant. Il s’agissait pour certains chercheurs de prouver la véracité du récit biblique. C’était s’enfermer dans un rationalisme étroit et négliger le caractère propre des mythes.

Le mythe babylonien du déluge

La version la plus proche de la Bible est née dans le monde mésopotamien, à Babylone. Cette région, située entre deux fleuves (le Tigre et l’Euphrate), est sujette à de fréquentes inondations. Elle se trouve principalement dans l’actuel Irak.

De nombreuses versions

Il existe de ce mythe plusieurs versions qui comprennent de nombreuses variantes. Mais la trame globale reste la même. L’assemblée des dieux, sous la conduite du dieu suprême, décide d’anéantir les humains. Devenus trop nombreux, ils perturbent le repos des dieux par leur activité bruyante. Ils choisissent de le faire au moyen d’une inondation venue des eaux primaires.

Une autre divinité prévient un homme de ces intentions et lui donne un moyen d’y échapper en construisant un navire. Cette divinité lui demande aussi de prendre avec lui sur ce navire des animaux en couple. Le déluge s’arrête le 7ème jour et, après un épisode où apparaissent colombe et corbeau, les survivants échouent au sommet d’une montagne.

Ils offrent un sacrifice aux dieux qui, apaisés, accordent aux humains le droit de continuer à vivre. Ils sont nécessaires aux dieux pour les servir. Pour que ces derniers soient moins dérangés par le vacarme humain, le dieu suprême raccourcit la vie, introduit des maladies, la stérilité, etc.

Un récit étiologique …

On voit qu’il s’agit là typiquement d’un récit étiologique propre aux mythes. Il a comme fonction de fournir une explication à la condition humaine et à ses difficultés. Surtout ils donnent aux humains la clef pour une vie heureuse malgré cela. Il s’agit de servir correctement les dieux tout en sachant que ces derniers sont versatiles. Il appartient à la condition humaine de s’y plier.

… intégré dans l’épopée de Gilgamesh

Ce récit, dont les plus anciennes attestations semblent remonter à 1’700 /1’800 années avant notre ère, sera plus tard (aux environs de – 1’200) intégré dans une épopée plus vaste: celle de Gilgamesh. C’est l’histoire d’un roi babylonien qui, suite au décès de son ami le plus proche, part en quête d’immortalité. Dans ses tribulations, il va rencontrer l’homme qui a survécu au déluge et à qui les dieux ont accordés l’immortalité: Utnapishtim. Pourtant, même cette rencontre ne permettra pas à Gilgamesh de trouver l’immortalité. Il doit apprendre à s’accommoder de sa condition mortelle.

La reprise biblique du mythe du déluge

L’épopée de Gilgamesh, et le récit du déluge, fait partie des « classiques » que tout lettré du monde proche oriental se doit de connaître. Les lettrés juifs (scribes, prêtres, fonctionnaires de cours) ne devaient pas faire exception. Vu la fréquence des découvertes de textes la mentionnant et les nombreuses représentations iconographiques du roi babylonien à travers tout le croissant fertile, il est fort probable que son histoire était connue très largement. Dès lors, il n’est pas étonnant que les auteurs bibliques se soient inspirés de la culture ambiante pour forger leur propre version du récit.

Le récit du déluge (Gn 6-9) prend place dans un ensemble qui compose un récit global des origines de l’humanité (Gn 1 -11). Dès le chapitre 12, c’est l’histoire d’Abraham (et donc du peuple d’Israël) qui débute. Les onze premiers chapitres constituent en quelque sorte un prélude universalisant à une histoire particulière.

Sans entrer dans les détails littéraires, il est utile de mentionner deux différences majeures entre le récit biblique et récit « ambiant ». D’une part, on passe d’une représentation polythéiste à une vision monothéiste du divin. D’autre part, le récit du déluge est placé dans l’ensemble Gn 1-11 comme une sorte de contrepoint aux récits de la création (Gn 1 et Gn 2-3).

Un récit monothéiste

Dans le récit mésopotamien, les dieux s’opposent quant à la destinée des humains. Les uns sont partisans de l’extermination de l’humanité au nom de leur tranquillité. Un autre cherche à sauver l’humanité par un de ses représentants. Les malheurs qui affectent l’humanité sont rapportés à des oppositions entre des dieux antagonistes. L’être humain doit donc chercher des moyens pour ne pas froisser les dieux défavorables et s’acquérir la faveur des dieux favorables.

Or, dans une perspective monothéiste, c’est le même Dieu qui est à l’origine de la décision de détruire et de sauver. Voilà qui semble contradictoire au plus haut point. C’est sans doute pourquoi, le récit biblique insiste beaucoup sur la méchanceté des humains et les raisons éthiques qui conduisent Dieu à vouloir rayer sa création. Même si au final, c’est bien la volonté de salut qui l’emporte, il s’agit de justifier moralement un tel acte destructeur.

Le récit biblique se termine aussi par une assurance: celle de ne plus détruire la création, même si celle-ci s’avère largement imparfaite. L’espace existe donc pour l’humain pour mener une vie aussi juste que possible sans craindre sans cesse la punition divine ultime. On le voit le thème de la justice (celle de Dieu et celle des humains) est fortement présente dans le récit biblique alors qu’elle n’est guère présente dans le récit mésopotamien. C’est une conséquence de la foi monothéiste.

Un contre mythe de la création

Le récit biblique du déluge est intégré dans un ensemble de récits qui présentent le cadre dans lequel évolue l’humanité. Ces récits présentent tout à la fois le projet de Dieu pour l’humanité (la création en Gn 1 et 2) et le décalage entre ce projet et la réalité triviale de la vie des humains (la chute, la violence, l’injustice, la diversité conflictuelle des cultures, etc.). Dans cette perspective, le récit du déluge se présente comme un contre mythe. Au projet de Dieu s’oppose la méchanceté et le violence des humains. Le monde n’est pas parfait. Dieu, après avoir renoncé à le détruire, accepte cette réalité. L’action divine s’inscrit dans ce cadre imparfait. Non pas que Dieu justifie l’imperfection humaine, mais « il fait avec ». Il inscrit son projet pour l’humanité dans cette humanité même.

Pour aller plus loin

Le cours du professeur Thomas Roemer sur « la condition humaine: Proche Orient ancien et Bible hébraïque » disponible en vidéo sur le site du Collège de France.

L’introduction à l’Ancien testament, en particulier les pages 114-133.

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